CHABBAL - GREVE DE GRAULHET
LA GREVE DE GRAULHET
Par les femmes de ma branche maternelle, les CHABBAL de Graulhet sont entrés dans ma famille, j'ai retrouvé la signature de Paul Lagarde Mégissier dans le 1er quart des années 1800.
Ce mémoire écrit par Léon de Seilhac, délégué permanent du Service Industriel et Ouvrier du Tarn retrace le rôle qu'ont joué ces derniers lors des grèves de Graulhet dès 1896. C'est un témoignage très intéressant sur le monde ouvrier et ses conditions de vie ainsi que la connaissance du travail des peaux que l'on allait choisir souvent en Argentine.
La grève de Mazamet s'était terminée le 6 mai 1909 ; la grève de Graulhet commença le 5 décembre.
Le secrétaire général de la Fédération des cuirs et peaux, M. Griffuelles, se trouvait dans la région et il voulut faire d'une pierre deux coups.
La grève de Mazamet avait admirablement réussi pour les ouvriers. Les gens de Graulhet devaient d'autant plus s'inspirer de cet exemple que, chez eux le syndicat est plus fort. Graulhet s'honore d'avoir vu naître un des premiers syndicat ouvriers, en 1880, - avant la loi sur les syndicats.
La petite ville industrielle, dont nous nous occupons, est éloignée de toute voie de chemin de fer. Un tram à voie étroite la relie à la ligne de Castres à Albi. Sa seule industrie est la mégisserie, elle est le principal centre pour la production des maroquins employés à la doublure des chaussures et des peaux employes pour la reliure, la maroquinerie, la gainerie.
En 1896, on comptait à Graulhet plus de cent ateliers dans lesquels travaillaient 1 500 hommes et 250 ou 300 femmes occupées au finissage (corroyage et piquage). Mais, comme la main d'oeuvre était insuffisante, cinq des plus importants partrons firent appel au machinisme perfectionné : ce qui leur mit à dos les quatre-vingt-quinze autres patrons, qui n'avaient pas assez de ressources financière pour transformer leur matériel primitif. La lutte fut grave entre les gros et les petits patrons.
L'arrivée des machines avait inquiété les ouvriers. Les petits patrons en profitèrent pour attiser cette hostilité naturelle de la force humaine contre la force de la machine. Ils dénoncèrent la catastrophe qui allait s'en suivre, de telle sorte que les ouvriers se mirent du côté mdes petits patrons, et s'en prirent aux gros patrons. Ceux-ci, pour se défendre, durent fonder un syndicat philantropique dont les statuts on été déposés à la mairie le 28 janvier 1896.
Les signataires de ces statuts étaient : Jacques Cathalau, Président - Pons père et fils, Vice-Président, Maruis Chabbal Secrétaire, Miquel et Tayac, Trésorier.
Les ouvriers, exités par les petits patrons, essayèrent d'interdire les marchines. Ils mirent les cinq usines à l'index, et il s'en suivit une grève de plusieurs mois, pendant laquelle le syndicat ouvrier dépensa cent mille francs. A la suite de la grève, les patrons se refusant à sacrifier leurs machinisme perfectionné, les ouvriers furent obligés de réintégrer les usines sans autre bénéfice que de s'être ruinés dans l'intérêt unique des petits patrons.
Des cinq gros patrons d'alors, il en exite deux, MM. Chabbal et Armengaud, qui font encore partie des dissidents du syndicat patronal.
Les ouvriers devaient faire tous les frais de la lutte stupide, dans laquelle il s'étaient lancés aveuglément. Les petits patrons réduisirent tout d'abord les salaires de leurs ouvriers pour soutenir la concurrence des gros patrons, que servait un machinisme perfectionné. Les gros patrons, au contraire augmentairent les leurs, dans le but de vaincre la résistance des ouvriers et de se venger de la guerre hypocrite que leur avait faite les petits patrons, - tant et si bien que ces dernières durent de résoudre à disparaître ou à moderniser leur outillage. Ceux qui manquaient de capitaux trouvèrent à en emprunter à Mazamet, qui avait besoin de Graulhet pour l'écoulement et l'utilisation de ses peaux délainées.
Mais la machine a eu deux résultats :
1° d'accroître les chômages, en activant la production dans les périodes de presse.
2° d'augmenter considérablement le nombre des ouvrières au détriment des hommes employés dans l'industrie.
Sur ce dernier point, la tactique du syndicat a été extrêmement habile. Le syndicat ouvrier a réclamé pour les femmes une augmentation de salaire, de telle sorte que les patrons eussent moins d'avantage à employer les femmes. Les ouvrières étaient enchantées de ces demandes faites en leur faveur et des augmentations qui pouvaient leur être concédées, sans se douter que le résultat obtenu, c'était la diminution du nombre des femmes, qu'on avait moins d'intérêt à employer, du moment que leur salaire se rapprochait de celui des hommes.
Une grève avait éclaté en 1889, qui avait été terminée par la convention suivante.
Art. 1er. - Pour éviter tout conflit, les deux Commissions d'intermédiaires seront, à l'avenir et toujours, saisis des désiderata des deux Syndicats, qui devront émettre leur avais dans leurs assemblées respectives, avant qu'elles ne soient prononcées. Copie de toute délibération devra être transmise à titre de réciprocité.
Art. 2. - Toutes les fois qu'un désaccord quelconque surgira dans une usine, les Commissions d'intermédiaires seront réunies, et, en présence des inculpés, videront les différents.
Art. 3. - Les patrons restent entièrement libres pour le développement et le perfectionnement de leur outillage ; quant au chômage, il sera réglementé, conformément aux articles 1 et 2, par les Commissions intermédiares des deux Chambres.
Art. 4 - Dans toutes les usines où il y aura un contremaître, cet employé sera le représentant absolu du patron, il aura le droit d'embauche et de renvoi, de direction entière et, pour mandat particulier, de veiller à ce que les hommes fassent leur travail, toujours bien entendu, conformément aux lois de la morale et de l'équité. Comme garantie de cet article et pour éviter toute contestation de ce chef, le contremaître cessera de faire partie du Syndicat ouvrier, le jour où le patrons le présentera aux ouvriers de son usine comme son représentant, et il sera réintégré de droit dans son syndicat avec toutes les prérogatives d'ouvrier syndiqué, le jour où il cessera d'occuper son emploi ; il lui suffira de verser une somme égale à l'augmentation qu'aura pu subir, depuis son départ, le chiffre de la répartition par tête de la caiise commune.
Art. 5 - A la demande du patron, les ouvriers devront donner le tour le dimanche et jours fériés (le soir en payant) ; également un ouvrier sera désigné pour l'allumage des fourneaux, avant l'heure réglementaire, les jours de teinture.
Art. 6 - Pour entrer dans les vue du Syndicat ouvrier et afin que toute liberté soit laissée à l'ouvrier qui voudrait sortir de l'usine, les patrons consentent à supprimer la huitaine réciproque.
Art. 7 - Tout apprenti au-dessus de seize ans, pour entrer dans le Syndicat ouvrier et profiter de tous ses avantages, devra subir, durant la première année et chaque semaine, une retenue de 10 centimes par franc sur son salaire.
Art. 8 - Les ouvriers laissent aux patrons la liberté de faire trois heures supplémentaires par semaines à raison de 40 centimes l'heure. Le travail du dimanche est fixé à trois heures à raison du prix de l'heure de la journée, mais les heures en sus seront considérées comme heures supplémentaires et payées comme telles.
Tout sera oublié à l'égard de l'ouvrier, tous sans exception seront réintégrés dans leurs usines respectives. La bonne harmonie étant une condition d'existence pour les deux Chambres ; à cette fin, les conditions établies entre patrons et ouvriers sont maintenues. Les patrons syndiqués ne doivent occuper que des ouvriers syndiqués et réciproquement, les ouvriers syndiqués ne doivent travailler que chez des pratrons syndiqués. Comme application de ce principe, les ouvriers qui ne se conformeront pas à cette décision seont aussitôt considérés comme non syndiqués.
En résumé, la seule voie à suivre pour tout ce qui a trait aux rapports des patrons et des ouvriers, c'est de se conformer strictement aux articles 1 et 2 ci-dessus mentionnés.
Toute contravention à ces divers articles sera considérée comme une déclaration de conflit.
Fait à Graulhet, le 22 août 1889
Pour le syndicat des ouvriers : PERRY Alfred, Président. BARTHES Jean, Secrétaire
Pour le syndicat des patrons ; FONVIELLE Combes, Président. BERTHOUMIEUX Jean Secrétaire
La grève de 1910 avait donc éclaté en violation de cet accord, subitement, brutalement et par surprise. Les ouvriers ne furent pas longtemps à reconnaître leurs torts.
L'échange des lettres entre le Syndicat patronal et le Syndicat ouvrier jette la plus vive lumière sur les circonstances dans lesquelles cette grève fut déclarée.
1ère lettre du Syndicat des ouvriers moutonniers au Syndicat patronal, Graulhet le 4 décembre 1909. A M. Le Président du Syndicat des Patrons Mégissiers de Graulhet et MM. les membres du Syndicat.
Après la réunion des femmes travaillant dans votre industrie et faisant parie de notre Syndicat, réunion qui a eu lieu le samedi soir 4 décembre à la Maison du Peuple,
Je tiens à porter à votre connaissance la décision qui a été votée à scrutin secret et qui consiste en l'augmentation du salaire de la femme dans les conditions suivantes :
Question unique : "Salaire de la femme porté à 0 fr. 25 l'heure à partir de lundi 6 décembre." N.-B. Il est bien entendu que la durée de la journée de travail devra rester la même, c'est-à-dire 9 heures. Dans l'espoir, Monsieur le Président, que vous prendrez vos dispositions pour communiquer à vos collègues la présente et que vous voudrez nous donner une réponse dans le plus bref délai, c'est-à-dire ce soir dimanche 5 décembre 1909, Pour le syndicat et par mandat : Le Secrétaire permanent, A. Calvignac.
Cette première lettre fut remise au fils du Président du Syndicat des patrons de café, à 10 heures du soir. Rentré chez lui, il ne voulut pas réveiller son père. Le lendemain matin, celui-ci étant parti de très bonne heure pour l'usine, la lettre ne put lui être remise qu'à 9 heures. Il convoqua immédiatement la commission patronale et répondit au Syndicat ouvrier.
Première lettre des patrons. Chambre syndicale des patrons Mégissiers. Graulhet, le 5 décembre 1909.
Monsieur le Secrétaire permanent du Syndicat des ouvriers moutonniers.
J'ai reçu votre lettre d'hier soir. Toute diligence a été faite à ce sujet. J'ai réuni la commision ce matin à 10 heures ; mais, ne pouvant prendre sur elle la responsabilité, elle a décidé de convoquer notre Syndicat pour demain au soir lundi. Fonvieille-Combès
Réponse des ouvriers. Chambre syndicale des ouvriers moutonniers, Graulhet le 6 décembre 1909. (au matin)
Monsieur le Président et MM. les membres du Syndicat des Patrons Mégissiers.
A la suite de votre réponse d'hier, nous tenons à vous aviser que, dans votre réunion de ce soir, vous aurez à tenir compte de la décision prise par notre Syndicat de la décision dans sa réunion de dimanche 5 décembre. En voici la teneur : "Le travail ne sera repris dans les usines que lorsque les femmes auront obtenu satisfaction à la demande d'augmentation générale de leur salaire, qui doit être porté à 0 fr. 25 l'heure - 9 heures de travail par jour (les hommes ont 9 1/2 de travail à l'usine les femmes ont un quart d'heure de plus avant onze heures et avant 6 heures du soir pour aller préparer les repas.) sans autres conditions aléatoires. Pour le Syndicat et par mandat le Secrétaire permanet A. Calvignac. N.B. Vous voudrez bien faire parvenir votre réponse à la Maison du Peuple.
Sur l'initiative de quelques membres du Syndicat patronal, le bureau avait avancé à 2 heures de l'après midi la réunion qui avait été annoncée pour le soir.
Deuxième lettre des ouvriers du même jour. Reçue par les patrons dans leur réunion, vers 3 heures. Chambre syndicale des ouvriers moutonniers.
Graulhet le 6 décembre 1906, Monsieur le Président et MM. les Membres du Syndicat des Patrons Mégissiers.
Nous tenons à porter à votre connaissance la décision votée par notre Syndicat, dans sa réunion du lundi 6 décembre, à 2 heures de l'après-midi : "Vu la mauvaise volonté des patrons (Cette mauvaise volonté avait consité à ne pouvoir convoquer sur l'heure 70 patrons, surtout un dimanche, où la poste ne fonctionne pas normalement) pour trancher une affaire d'une si faible importance, le Syndicat estime que les patrons doivent supporter les frais de perte de temps des ouvriers pour la journée du lundi 6 démbre, toutes réserves faites pour la suite." Veuillez donner une réponse sur le tout, pour la réunion de ce soir qui a lieu à 8 heures sous la halle. Pour le syndicat A. Calvignac
Réponse des patrons. Chambre syndicale des patrons mégissiers de Graulhet. Graulhet le 6 décembre à 4 heures
Messieurs, Nous avons l'honneur de porter à votre connaissance la décision de notre Syndicat prise en assemblée générale, à la réunion de ce jour : "Conformément aux accords établis entre le Syndicat patronal et le Syndicat ouvrier, le Syndicat patronal donne mission à son bureau et à sa commission de s'aboucher avec le bureau et la commission du Syndicat ouvrier pour étudier la réglementation du travail et du salaire des femmes dans les usines." Nous sommes donc à votre disposition pour nous réunir à l'heure qui vous conviendra. Le président, Fonveille-Combès.
Troisième lettre des ouvriers, du même jour. Chambre syndicale des ouvriers moutonniers. Graulhet le 6 décembre 1909, M. le Président du Syndicat des patrons Mégissiers. A la suite de votre réponse de ce soir et après décision prise par notre Syndicat à ce sujet, je dois vous dire que nous serons à la disposition de votre commision demain matin 8 heures, pour discuter sur les questions suivantes :
1° Augmentation du salaire de la femme porté à 0 fr. 25 de l'heure : 9 heures de travail par jour.
2° Le lundi de perte de temps à la charge des patrons.
3° Diminution de la journée de travail pour l'homme ; journée portée à 9 heures. Le secrétaire permanent : A. Cavignac
Ainsi au fur et à mesure que les lettres se succèdent, les revendication s'accumulent.
La grève s'était faite sur la question du salaire des femmes. Voilà que pour n'avoir pas répondu assez tôt au gré du Syndicat, les patrons sont frappés d'une sanction, d'une amende d'une journée de travail. C'est nettement compliquer la question. Il est bien certain que les patrons n'accepteront pas cette amende humiliante, pour un redard dont ils ne sont pas responsables. L'augmentation du salaire des femmes n'est pas une question d'heures. Elle peut attendre un jour, sans que la justice sociale en soit renversée. Il faut remarquer, en outre, que par un pécédent contrat, les ouvriers ne peuvent décider une grève immédiate. Ils sont tenus à sauvegarder les matières que l'on a commencé à préparer et dont le travail ne peut être suspendu sans danger de perte. Mais cette complication de la deuxième revendication ne suffit pas encore au Comité. Il en rajoute une troisième.
Favorisé par rapport aux autres métiers, les ouvriers mégissiers ne font que neuf heures 1/2 de travail, alors que la journée normale est encore de dix heures et que nombre d'ouvriers, non privilégiés par la loi, ont des journées de onze heures et plus. Ils exigent tout d'un coup neuf heures. Il semble que le syndicat ouvrier ait voulu la grève. S'il s'était contenté de réclamer pour les femmes, il aurait sans doute obtenu gain de cause. Mais on dirait qu'il redoute d'obtenir trop facilement satisfaction. Il accumule les difficultés comme à plaisir. Il impose une humiliation aux patrons et il réclame une réforme de la journée de travail, contre laquelle il sait que les patrons sont irréductibles.
Le syndicat ouvrier aurait dû, s'il voulait présenter un programme complet de revendications, le présenter en bloc, dès la première minute. Une transaction aurait pu alors intervenir entre le Syndicat patronal et le Syndicat ouvrier. - Il aurait dû éviter surtout cette demande anormale du paiement d'une journée non faite, qui indisposa au plus haut point les patrons et les poussa à la résistance à outrance.
Les lettres se suivent cependant l'entrevue ayant eu lieu entre les ouvriers et les patrons, et ceux-ci ayant exigé tout d'abord la reprise du travail. Le syndicat patronal reçoit cette nouvelle lettre des ouvriers.
Chambre syndicale des ouvriers moutonniers. Monsieur le Président, MM. les Membres du Syndicat des patrons Mégissiers, Nous tenons à porter à votre connaissance le décision prise par notre Syndicat dans sa réunion de ce jour, 10 heures, concernant l'entrevue que nous avons eue ce même jour. Votre proposition relative à la reprise du travail et à discuter ensuite a été rejetée. Le Syndicat maintient donc sa décision antérieure qui nous a été communiquée hier soir. C'est-à-dire que nous acceptions la discussion, mais sans reprendre le travail. Si toutefois vous croyez une deuxième entrevue possible, nous sommes à votre disposition, à l'heure qui vous conviendra le mieux, si possible dans le soirée. Le secrétaire permanent, A. Calvignac
Réponse des patrons. Chambre syndicale des patrons mégisissiers de Graulhet. Graulhet le 7 décembre 1909. Monsieur le Secrétaire permanent de la Chambre syndicale des Ouvriers Moutonniers. Nous avons l'honneur de vous accuser réception de votre lettre refusant de réintégrer nos usines en continuant les pourparlers. - Le Syndicat patronal se voit obligé de faire le sauvetage immédiat de ses marchandises. Néanmoins la Commision et le bureau de notre Syndicat restent à votre disposition, conformément à nos accords précédents, pour nous aboucher avec le bureau et la Commission du Syndicat ouvrier. - Il est bien entendu que les portes de nos usines restent ouvertes aux ouvriers qui veulent reprendre le travail. Le Président Fonvieille-Combès
Deuxième lettre des ouvriers, du même jour. Graulhet, le 7 décembre 1909. En présence de votre réponse de ce soir, que nous avons communiquée à nos camarades dans notre réunion de ce soir, nous tenons à vous communiquer la décision prise dans cette dernière : Le syndicat ne tient pas les pourparlers comme définitivement rompus, et la Commision de grève est toujours à votre disposition, toutes les fois que le le jugerez utile et à l'heure qui vous conviendra. A. Calvignac.
On remarquera que, dans toute cette correspondance il n'est nullement question du côté hygiénique de la réclamation formulée par les ouvriers au sujet des repos le matin et le soir. Cette explication fut en effet trouvée par M. JAURES. Il ne suffit pas de mander une réduction de la journée de travail, indiqua l'habile orateur, surtout lorsque la journée se trouve déjà plus réduite qu'ailleurs. Il serait nécessaire d'expliquer et de justifiers cette demande. Les ouvriers emploient les deux repos du matin et du soir à de légers repas. D'autre part, ils manient des matières dégoûtantes et dangeureuses. Ils doivent se laver avant de manger, sous peine d'empoisonnement ; - qu'ils réclament donc le temps nécessaire pour se laver avant ces deux repas !
Nous verrons dans la suite de la grève comment les patrons essayèrent de concilier ces légitimes exigences et quelles propositions furent faites aux grévistes, que ceux-ci eurent le grand tort de ne pas accepter, car elles leur donnaient à peu près entière satisfaction.
Le syndicat ouvrier de Graulhet compte à peu près tous les ouvriers et ouvrières de Graulhet : 1 150 hommes et 650 femmes. Le syndicat patronal comprend les 75 patrons de Graulhet moins deux dissidents, qui sont de gros patrons, MM. Chabbal et Armengaud. Ils faisaient partie des cinq qui avaient formé, en 1896, ce Syndicat philantropique, dont nous avons indiqué la constitution. M. Chabbal occupe 275 ouvriers et ouvrières. Nous avons dit qu'ils combattaient alors pour l'introduction de la machine dans l'industrie de Graulhet et qu'ils avaient été longtemps attaqués par les autres patrons, soutenus par les ouvriers, qui n'avaient pas pu comprendre leur véritable intérêt et qui le reconnaissaient aujourd'hui. En effet, la machine n'a pas eu pour résultat de supprimer le nombre des ouvriers et de réduire le travail. - Au contraire. - Les usines pouvant fournir avec plus de régularité et de célérité aux commandes, tous les centres de consommation du cuir ont pris l'habitude de recourir à la fabrique de Graulhet (on peut cependant observer que le machinisme a accentué les périodes de crises en accélérant la production aux moments de presse, tandis que jadis on travaillait d'un bout de l'année à l'autre pour satisfaire aux commandes. Mais les ouvriers de Graulet, à demi-agricoles, savent s'employer aux travaux de la terre pendant les chômages.)
MM. Chabbal et Armengaud se trouvèrent dans une situation tout à fait plaisante au début de cette grève. N'ayant pas à se concerter avec de nombreux collègues, ils avaient pu, dès le dimanche soir, prévenir le Comité de la grève qu'ils acceptaient de donner aux ouvrières employées chez eux les 25 centimes d'augmentation réclamés. Ils se trouvaient donc en règle, si on peut employer ce terme pour cette sommation brutale, faite sous menace de grève. Les grèvistes n'en empèchèrent pas moins les ouvriers de ces deux patrons de se rendre au travail le lundi matin. Les rues furent barrés par des piquets de sentinelles. Et la suite joyeuse de la concession fut que le Syndicat ouvrier leur imposa le paiement de la journée du lundi, chômée contre leur gré. Ils se refusèrent du reste à accepter cette plaisanterie.
Le 15 janvier 1910, un modèle de contrat fut proposé par M. JAURES au nom des ouvriers. En voici le texte : Entre Messieurs.., Représentants du Syndicat ouvrier. Entre Messieurs..., Représentants du Syndicat patronal. Il a été convenu ce qui suit :
Il est accordé aux femmes 0,25 fr d'augmentation par jour, ce qui porte la journée pour elles à 2 fr 25. Pour les hommes pour une durée de présence à l'usine de 10 heures, il est accordé un quart d'heure supplémentaire pour chacun des petits repas, ce qui porte la journée de travail effectif de 9 heures au lieu de 9 heures 1/2. L'application de cette journée de 9 heures est fixée à 8 jours après la reprise du travail, et cela pour permettre à Messieurs les Patrons d'avoir le temps d'organiser le travail, en se basant sur ces conditions nouvelles. Le présent accord est valable jusqu''au 30 novembre 1911. Pour toutes les autres conditions de travail jusqu'ici appliquées dans les usines, les ouvriers s'engagent pendant cette période à les respecter, sous réserve qu'aucune modification nouvelle, tant au point de vue chimique que mécanique, ne viendra changer ces conditions, aggraver le chômage et jeter un trouble dans la répartition du travail. Si pour un motif se rapportant à ces faits, une difficulté surgissait, une Commission, composée à partie égale de patrons et d'ouvriers (le nombre peut en être fixé d'un commun accord) serait appelée à la résoudre. Dans tous les cas, les ouvriers donneront 3 jours à Messieurs les patrons pour répondre à leur communication ; toutefois, pendant les pourparlers, le travail suivra son cours normal de part et d'autre. Toutes les modifications pour un nouveau contrat devont être soumises, de part et d'autre, avant le 31 octobre 1911. Passé cette date, le contrat sera, de convention tacite, considéré comme prorogé, pour une nouvelle période de même durée. La discussion sur des propositions nouvelles devra commencer le 15 novembre 1911, pour qu'une solution intervienne au jour de l'expiration du présent contrat. Fait en double et de bonne foi. A Graulhet, le...
Le 20 janvier, les patrons du Syndicat répondaient à cette proposition : Ils déclaraient vouloir maintenir le léprincipe de la journée légale, telle qu'elle a été votée par le Parlement, soit dix heures de travail interrompues par un ou plusieurs repos. "La gracieuseté du quart d'heure, pour chaque casse-croûte matin et soir, reste consentie. Si l'insuffisance du quart d'heure pour chacun des ouvriers n'est pas un vain prétexte, ils seraient autorisés à l'augmenter, en diminuant d'autant le repos de deux heures qui existe de onze heures à une heure, repos qu'on peut remettre de onze heures à midi, comme il l'avait toujours été. - Il nous est impossible d'aller plus loin, ajoutaient les patrons graulhetois, sans nous mettre en infériorité avec tous nos concurrents."
C'était donc sur une question de principe que se tenait la discussion. Les ouvriers ne demandaient pas d'augmentation : Les hommes qui travaillent à la machine sont payés de 4 à 4 fr 50. Les ouvriers de rivière ou mégissiers qui travaillent au chevalet reçoivent 4 fr. Les manoeuvres 3 fr 50. Seules les femmes qui n'avaient que 2 fr réclamaient une augmentation de 0 fr. 25, qui mettraiet l'heure de travail (puisque les femmes ne font que neuf heures) à 25 centimes.
Ces 25 centimes, tous les patrons étaient d'accord pour les accorder. Il n'y a donc plus de difficultés de ce côté. C'est seulement la question théorique de la journée de travail qui était en jeu. Nous disons la question théorique, parce qu'en fait les patrons ferment les yeux sur "l'allongement du quart d'heure" qui souvent atteint 20 et 25 minutes. Il n'y a donc là, des deux côtés, qu'une question d'amour-propre. Les patrons ont peur, en concédant les neuf heures pour les hommes, que toutes leurs concessions soient épuisées, lorsque les ouvriers sentiront le besoin d'une nouvelle grève. D'autre part, ils sont mal disposés à l'égard de ces ouvriers, avec lesquels il vivaient sur le pied de la familiarité la plus complète, et qui ont essayé de les étrangler en cessant brusquement le travail et en risquant de leur imposer des pertes énormes. Heureusement, les patrons se sont vite rappelé qu'hier encore ils étaient des ouvriers, et ils ont fait comme les patrons boulangers qui mettent la main à la pâte, lorsque leurs ouvriers font la grève. Aidés de leurs employés, ils ont repris le métier que beaucoup d'entre eux n'on jamais cessé d'exercer et ils ont sauvé toutes les marchandises en danger.
La grève est donc générale. Tout le mois de janvier se passe tranquillement. Les réunions se succèdent. On organise l'exode des enfants aux environs, à Mazamet, à Albi, à Toulouse. La verrerie ouvrière d'Albi est surtout d'un grand secours, elle fournit de l'argent et s'occupe des enfants. A ces enfants qui vont partir on fait les honneurs de l'estrade aux réunions syndicales. Le secrétaire de la Fédération des Cuirs et Peaux, M. Griffuelhes, le secrétaire du Syndicat de Mazamet, M. Barthez, le délégué de la C.G.T., M. Dret, assistent le secrétaire de Graulhet, M. Calvignac, M. Barthez donne des conseils de sagesse et détourne les ouvriers de la violence. On lui reproche même son calme et sa modération.
Le 2 février, les grévistes décident de faire des ouvertures aux patrons, en vue de la conciliation. Mais les jours suivants, certains actes graves sont commis. Les femmes grévistes n'écoutent rien. On assaille des officiers de gendarmerie, on arrête les charrois et on les dépouille, le charbon envoyé à l'usine à gaz est dispersé. Le 11 février, une cartouche de cheddite éclate dans le soupirail d'une maison appartenant à un mégissier et casse une partie des carreaux de la rue étroite où se trouve cette maison. L'autorité prend immfédiatement des mesures sévères, installe de nombreux postes de soldats et fait faire des patrouilles fréquentes à la gendarmerie. Toute personne rencontrée dans les rues, après dix heures du soi, est identifiée.
Le 12 février, les patons dissidents font une proposition aux grévistes. Voici quelle était la proposition, fort acceptable, de MM. Chabbal et Armengaud. Ils concédaient un quart d'heure de plus pour le petit déjeuner du matin. Il est vrai qu'ils reprenaient ce quart d'heure en le retenant sur les deux heures du repas de midi ; mais il payaient ce quart d'heure aux ouvriers, en leur donnant un franc de plus par semaine, ce qui équivalait à 15 centimes du quart d'heure au lieu de 10 centimes, puisque l'heure est payée aux ouvriers 40 centimes. C'est donc un paiement avec prime légère.
Il était sous-entendu que les ouvriers auraient le droit de refuser par la suite ce franc supplémentaire et de reprendre le quart d'heure qu'ils avaient vendu. Ils n'auraient donc plus fait que neuf heures et quart de travail. Dans l'esprit des auteurs de la proposition, cette concession avait pour but de donner une satisfaction au Syndicat ouvrier, tout en paraissant sauvegarder le principe de la journée de dix heures, principe auquel tenait si fortement le syndicat patronal. (Ce principe n'était pas détruit par les arrêts du travail pour les deux casse-croûtes, ces arrêts étant considérés comme une concession gracieuse des patrons).
Le syndicat ouvrier commit la faute de ne pas accepter cette habile solution du problème. Il ne n'agissait ici que du temps de travail de l'homme. Nous avons dit que la femme était autorisée à partir un quart d'heure avant chacun des grands repas, pour les préparer, c'est-à-dire à 11 heures moins le quart et à 6 heures mois le quart.
L'horaire est, en effet, ainsi fixée : 6 heures : entrée à l'usine. - Vers 8 heures : repos d'un quart d'heure. - 11 heures : sortie de l'usine pour les hommes. (Pour les femmes : sortie à 10 h 3/4). - 1 ,heure : Rentrée. Vers 4 heures : collation d'un quart d'heure - 6 heures : sortie de l'usine pour les hommes. (Pour les femmes : sortie à 5 h. 3/4).
Avant cette proposition, il y avait eu celle du Syndicat patronal, qui avait offert de payer le quart d'heure, mais d'attribuer les sommes provenant de ces versements à la constitution d'une caisse de garantie.
Ensuite, il y eut une autre présentée par M. Fagnot, enquêteur permanent de l'Office du Travail, qui laissait la durée de la journée de travail à 9 heures et demie, mais faisait payer cette demi-heure considérée comme supplémentaire, au prix ordinaire de l'heure, c'est-à-dire à 20 centimes. Les ouvriers touchaient donc 1 fr 20 de plus par semaine ; mais ils avaient, comme dans la combinaison des patrons dissidents, la faculté de déclarer par la suite, qu'ils préféraient renoncer au bénéfice de cette demi-heure supplémentaire : ce qui entraînait la suppression de cette demi-heure de travail. A la suite de la réunion où fut proposée la combinaison de M. Fagnot, quelques patrons ayant déclaré que probablement leur Syndicat ne l'accepterait pas, les ouvriers prirent les devants et déclarèrent qu'ils ne voulaient pas eux-mêmes l'accepter.
Ils le regrettèrent depuis. En présence de ce refus, le Syndicat patronal décida de retirer toutes les concessions et propositions qu'il avait faites. Le Comité de grève risposta par une lettre ouverte aux patrons, où l'on lit notamment : "Pauvres fous ! Comme si la classe ouvrière se laisserait reprendre ce que vous avez reconnu pouvoir lui donner et ce que vaillamment elle sut conquérir !"
C'était le 84ème jour de grève. Les pourparlers étaient aussi avancés qu'au premier jour.
Les violences étaient assez fréquentes. Les convois de peaux à livrer à la gare étaient arrêtés par les grévistes. Les femmes se couchaient sous les pieds des gendarmes. Elles étaient les plus exaltées ; on les connaissait sous des sobriquets bizarres : la Canarde, la Pétrôle, la Manara ; un groupe de manifestants, où les femmes étaient nombreuses, faillit jeter à l'eau le président du Syndicat patronal.
Enfin M. Chabbal fit à son personnel les propositions suivantes, qui furent ensuite adoptées par le Syndicat patronal :
- 25 centimes d'augmentation pour les femmes.
- Demi-journée du premier samedi de chaque mois, pendant les six mois de bonne saison, pour tout le personnel (repos payé).
- Pendant les six autres mois, même conditions qu'auparavent.
- Engagement des ouvriers de sortir les peaux en dépérition dans chaque catégorie de travail.
- En cas de nouveau conflit, si les ouvriers violaient l'engagement, ils se réservent un droit de poursuites individuelles. Les contremaîtres feraient partie du Syndicat, mais seraient exempts de toutes réunions (Il s'agit surtout des délégation. Une section de 100 membres devait assister à tous les enterrements et à toutes les cérémonies. Trois contremaîtres sur six ou sept de l'usine pouvaient faire partie de la section désignée et cette absence des contremaîtres était préjudiciable aux intérêts de la fabrication.) Ils demanent en outre la momination d'une Commission d'usine pour examiner les nouveaux conflits. Si les différents n'étaient pas solutionnés, un arbitre serait pris au tirage au sort parmi les quatre présidents des tribunaux du département.
En ce qui concerne le chômage, il ne serait pas fait de renvoi partiel ; le travail serait réparti d'une manière générale ; les accords seraient établis jusqu'au 31 avril 1910. Pour rendre effectives les garanties, les ouvriers, à leur entrée dans l'usine, devaient individuellement reconnaître au patron le droit d'opérer par cession une retenue sur le salaire, conformément à l'article 2 de la loi du 12 janvier 1895. - L'inventaire des dommages causés, en cas de brusque cessation du travail, devait être fait par la Commission d'atelier. La commission d'atelier devait être composée de cinq membres pris parmi les ouvriers de l'usine. Le secrétaire du Syndicat ouvrier et le patron étaient entendus à titre consultatif et devaient assister à toutes les discussions.
M. Chabbal ayant prié ses ouvriers de venir causer avec lui, une vingtaine d'entre eux obéit et se présenta à l'usine. Ceux-ci furent vertement réprimendés à l'assemblée du Syndicat ouvrier, qui les expulsa. Or il faut savoir en quoi consiste cette punition. Un ouvrier non syndiqué ne peut plus se placer dans les usines et, s'il veut rentrer dans le Syndicat qui l'a banni, il doit payer d'énormes amendes qui se chiffrent parfois par 300 ou 400 francs. Ces amandes sont, bien entendu, payées par le patrons, s'il tient à son ouvrier, celui-ci étant dans l'impossiblité de se libérer. Ces vingt ouvriers étaient donc jetés à la rue par la sanction du Syndicat. M. Chabbal s'empressa de profiter de cette sévérité intempestive, en les recueillant et en ouvrant son usine.
Cette réouverture se fit le 21 mars. - 35 ouvriers répondirent à l'appel du patron. Leur sortie, à 11 heures, s'effectua sous les huées. Ils passèrent encadrés de gendarmes à pied et à cheval. Leur retour fut également protégé, de même que la sortie du soir. Le syndicat patronal s'empressa d'imiter l'exemple de M. Chabbal, et des forces imposantes de gendarmerie durent protéger ceux qu'on appelle là-bas les MACCHABEES. Mais lorsque les gréviste les rencontraient seuls, ils leur lançaient des insultes et des coups. Pendant la nuit, ils défonçaient leurs jardins et en arrachaient les arbres fruitiers. Enfin, ils cadenassèrent pendant la nuit les portes et lers fenêtres de quelques-uns des renégats, qui se trouvèrent ainsi emmurés et durent être délivrés par la gendarmerie.
Les péripéties de cette grève furent nombreuses. Tout d'abord les soupes communistes fonctionnèrent de la façon la plus large. On servait 3 500 portions par repas et la dépense journalière n'était pas inférieure à 900 francs ou 1 000 francs. Plus de 80 000 francs de secours arrivèrent au Comité de grève. Les exodes d'enfants se firent en grand. Dans ce département du Tarn, qui est si industriel, et dans les centres des départements voisins, tels que Decazeville, les enfants de Graulhet furent reçus dans toutes les familles socialistes.
Les heurts entre la gendarmerie et les grévistes étaient fréquents. Les charrois étaient arrêtés par la foule des grévistes qui se couchaient en travers de la route devant les chevaux. Les femmes surtout étaient excitées. Le représentant de la Confédération Générale du Travail, M. Dret, disait au préfet ! "Nous nous opposerons par tous les moyens à la circulation de n'importe quelle marchandise venant ou allant aux usines. Mais comme les grévistes ne veulent pas porter préjudice au commerce local, toutes les autres marchandises pourront circuler librement, à la condition, toutefois, que les charretiers iront à la Maison du Peuple prendre un sauf-conduit."
Le 22 janviers, cent grévistes arrêtent et essayent de brûler un convoi de peaux finies mélangées parmi les peaux brutes, dont la circulation n'avait pas été autorisée par le Comité de grève. "Cette supercherie patronale, dit le correspondant de l'humanité, viole les accords concernant la circulation, qui n'avait été accordé que pour les peaux finies. (Les grévistes voulaient empêcher que l'on pût donner du travail aux renégats. Mais il n'y avait eu aucune convention pour les charrois, entre patrons et ouvriers.) Trois balles ont été éventrées, jetées, piétinées par les grévistes. Les femmes chantent et dansent au son de l'Internationale, les clairons sonnent, 300 grévistes arrivent au pas de course... Les gréviste forme un mur humain. Il est impossible de faire passer la voiture. Le sous-préfet parlemente avec la foule. Les patrons veulent emporter les peaux à l'usine, mais les grévistes crient : "Retour à la gare". Le sous-préfet propose aux patrons de faire conduire la voiture à leur domicile, leur laissant la responsabilité de la voie encombrée (Le sous-préfet menaça les patrons de leur dresser procès-verbal s'ils ne désencombraient pas la voie.) Les patrons, devant l'hostilité de la foule, ont préféré d'eux-mêmes ramener le chargement à la gare... "Ce haut fait patronal leur coûte 2 000fr."
Le 24 janvier, une usine est incendiée. Un certain mystère plane sur cet incendie, constate l'Humanité. Des peaux noires teintes son aperçues plongées dans des pelains contenant de la chaux. (C'est-à-dire soumises aux opérations préparatoires alors qu'elles avaient déjà passé par la teinture. C'est exact ; mais les patrons dirent de leur côté qua cela prouvait que l'incendie de l'usine était dû à un acte de sabotage.) C'est au moins une anomalie dans la profession qui provoque des commentaires dans la population." Plus loin le même journal ajoute : "Le patrons de l'usine incendiée ce matin a été conspué sur le pont neuf. Un patron nommé Menal a été jeté à l'eau et battu;" Ce dernier fait était heureusement inexact. Il y eut cependant, par la suite, risque pour un patron d'être jeté à l'eau par un groupe d'ouvriers et surtout de femmes exicitées. Des actes de sabotage étaient commis sur la voie du tram à vapeur. Une aiguille fut brisée, on s'en aperçut à temps.
Une nouvelle bagarre éclata le 10 février. Les grévistes et surtout les femmes opposent des barrages aux charges des gendarmes et au transport des marchandises, en se couchant au travers des routes. Il y eut des coups échangés ; mais heureusement aucune blessure grave.
Le 11 février à 4 heures du matin, un pétard éclate avec fracas dans le soupirail de la maisonb d'un des patrons. Deux dames qui s'y trouvent manquent de mourir de peur. En même temps des poteaux de la tramission électrique avaient été sciés. Le lendemain, un lieutemant de gendarmerie est assailli par un groupe de gréviste qui veut le jeter à l'eau. Il se défend, révolver au poing, et il est secouru par une patrouille.
Le 18 févier, M. Fagnot, délégué du Ministère deu travail, essaie, mais en vain, de trouver un terrain de conciliation. Il se heurte à l'intransigeance des ouvriers. Les patrons retirent leurs premières concessions. Les ouvriers se retournent du côté de M. CHABBAL, dans lequel il avaient une entière confiance et qui toujours avait semblé prendre leurs intérêts. On sait comment fut reçue par le Comité ouvrier de grève la propostion de M. Chabbal.
On vit alors se produire l'intervention d'un briseur de grève fort connu d'ailleurs dans
l'exercice de ce métier, M. Raynier, de Charleville. Son intervention fut peu efficace. Elle consista en une affiche violent signée du "Comité ouvrier de protestation contre la grève" et se terminant ainsi : 'Tous aux usines et reprenons notre travail !". M. Raynier eut toutes les peines du monde à trouver des colleurs pour les affiches. Lui-même ne pouvait s'en charger, car, dès qu'il faisait quelques pas en dehors de l'hôtel ou du café où il passait tout son temps, il se voyait suivi de près par cinq grévistes qui lui manifestaient des sentiments équivoques de sympathie. Enfin il trouva un vieillard de 75 ans ; mais le malheureux se vit enfoncer sont pot de colle sur la tête et ne put continuer ses opérations.
Cependant quelques ouvriers exprimaient leur impatience. Ils reprochaient à leur Syndicat et surtout au secrétaire, M. Calvignac, d'avoir voulu la grève et de l'avoir rendue nécessaire par la hâte à réclamer une réponse des patrons. Ces ouvriers s'abouchaient avec leurs patrons et cherchaient visiblement à reprendre le travail.
Le lundi 21 mars, le travail reprenait à l'usine Chabbal. On y comptait 35 ouvriers seulement. Le même soir, un de ces ouvriers est victime d'une agression de la part des grévistes et un patron reçoit un coup de fronde ou une balle de révolver au front, alors qu'il était à sa fenêtre. Les autres usines ont également ouvert, mais le nombre des reprises de travail est extrêmement faible. Les patrons déclarent qu'ils ne se lasseront pas et que, peu à peu, tous les ouvriers rentreront dans les usines. Cette éventualité paraît certaine ; mais il faudra quelque temps, avant que les ouvriers osent affronter les foudres de leur Syndicat.
Les macchabées ou renégats sont hués par une foule de 1 500 manifestants et cela quatre fois par jour : le matin à six heures, à onze heures en sortant de l'usine pour déjeuner, en y rentrant à 1 heure et en sortant le soir à 6 heures. Pour éviter la fatigue des nombreuses troupes de gendarmerie chargées d'organiser ces cortèges, on décide de garder les ouviers déjeuner à l'usine. On leur organise des cantines et pour 50 centimes on leur donne des "soupes patronnales", qui sont composées de viande, légume, dessert, café et vin. Beaucoup d'entre eux s'habitueraient à ce régime qui est certainement plus confortable que leur menu ordinaire. Les grévistes attribuent à M. Chabbal la mauvaise tournure que prend la grève. "M. Chabbal, dit Calvignac, a été jadis l'adversaire du Syndicat patronal ; aujourd'hui il en est l'auxiliaire." Il a trompé la confiance que les ouvriers avaient mise en lui. D'ailleurs le secrétaire du syndicat ouvrier voit dans les événements un commencement de victoire ouvrière. Les patrons n'ont-ils pas fait, à la suite de M. Chabbal, des concessions sur la réduction de la durée de travail, alors qu'ils avaient déclaré que sur ce point ils se refuseraient à toute concession ? Mais il ne veulent pas traiter avec le Syndicat et ils prennent un biais pour se soumettre aux revendications ouvrières, d'une façon hypocrite et atténuée et sans avoir l'air de vaincus (Réunion du 23 mars).
Le délégué de la Confédération Générale semble moins optimiste et il conseille aux grévistes de se venger de ceux qui les ont trahis. Entre temps, les grévistes promènent des boeufs vivants destinés aux soupes communistes, pour répondre à ceux qui prétendent que la soupe est de plus en plus maigre. Deux boulangers suspendent le crédit au Comité de grève. Le 2 avril, un renégat de l'usine Chabbal reçoit un coup de couteau en plein visage.
Un nouveau syndicat est créé, syndicat indépendant, avec M. Calvignac, frère du secrétaire du Comité de grève, comme secrétaire. Il en résulte un haine fratricide entre les deux organisations.
Le juge de paix essaie encore une tentative de conciliation le 15 avril.
Le syndicat patronal lui répond : "Les usines sont rouvertes, l'ère des négociations est définitivement close."
Enfin le 27 avril, les ouvriers décidaient la reprise du travail, sans avoir rien obtenu que ce que leur avaient concédé de leur propre mouvement les patrons, et après avoir refusé d'accepter des combinaisons plus avantageuses.
Le 2 mai, eut lieu la rentrée générale. La grève avait duré 144 jours, sans que les ouvriers aient obtenu un gain appréciable, puisque le 25 centimes d'augmentation pour les femmes avaient été condédés dès le début.
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Date de dernière mise à jour : 05/07/2021