Korsakov-roman-Eric Fottorino
ERIC FOTTORINO-MAMAN
Dernièrement, il y a plus d’un an, au cours d’une émission de France Inter j’ai entendu parler d’Eric Fottorino, dont je ne connaissais pas l’existence. Ce qui était dit "me parlait". D’un naturel curieux en matière de littérature, j’ai voulu mieux le connaître. Quand en tête de gondole d’une grande surface j’ai trouvé un de ses derniers livres dans la collection folio : "L’homme qui m’aimait tout bas", j’en ai été ravie et je l’ai acheté.
Ce que je ne pensais pas trouver dans ce livre c’est le lieu où il avait habité petit enfant, rue Frédéric Bentayou, et pour moi qui allais au cours complémentaire dans les préfabriqués du Grand-Parc, non, Ravesies, à pieds, depuis le quai des Chartrons, la rue Frédéric Bentayou était un paysage familier en 1958, mais Eric Fottorino n’était pas encore né. En revanche je n’ai jamais aimé la rue Cornac qui donne sur les quais, si ma mémoire est bonne, il est possible, mais il faut que je vérifie, que les prêtres de l’église Saint-Louis ait habité dans la partie de cette rue proche de l’église.
Je me rends compte maintenant, que mes grands-parents habitant près de la rue Marsan j’ai cotoyé la famille d’Anne-Marie Garat, autre grand écrivain de notre génération. Elle, qui dès l’âge de 6 ans, était destinée à la littérature d’après les chuchotements, de Madame Dupuis, l’institutrice que je partageais en C.P avec sa soeur Françoise. La vie nous a très vite séparée, elle jumelle et moi gémeaux, toutes les deux amputées, dès le premier jour de classe nous nous sommes donné la main, avec pour moi, l’impression de la connaître depuis toujours, je n’étais plus seule cette année là, j’avais un double. J’ai eu le sentiment, en lisant le livre de sa soeur, qu’à la fin de sa vie j’aurais aimé recommencer l’apprentissage de la lecture avec elle.
Entre-temps, Michèle PERREIN était venue au salon du livre de Blanquefort vers 1984. Depuis "Le buveur de Garonne" que j’avais lu en 1974 je suivais son oeuvre. Indirectement, c’est mon grand-père, en m’interdisant la lecture de "Caroline Chérie" de Cécil de Saint Laurent qui avait aiguisé ma curiosité.
Je n’ai jamais souffert du manque de nourriture, seulement du manque de lectures, en 1952 le prix des loyers était élévé à Bordeaux et nous devions aussi payer un loyer à mon Grand-père à Cachac, donc l’achat de livres était un superflus que mes parents ne pouvaient pas se permettre. C’est à l’âge de 5 ans, que j’avais appris à lire, au cours des quelques mois que j’avais passés dans la classe à plusieurs niveaux de Madame Dupuy à Cachac et j’avais faim de lectures, de rêves. Puis vers 8 ans tout est rentré dans l’ordre, mais beaucoup trop tard pour moi, l’été Yannick m’a prêtée des livres de la bibliothèque verte, j’ai fréquenté la bibliothèque paroissiale rue Notre-Dame à côté de l’église Saint Louis, ainsi que les livres dans les classes depuis le CM1 et enfin, les merveilleux livres de poche, que j’achetais aux Nouvelles Galeries dès que j’ai gagné ma vie. Il y a eu aussi le bibliobus du Grand-Parc qui stationnait place Paul Doumer qui me pourvoyait en livres.
Un dimanche de 2003, j’ai osé parler de Nicole Avril à un bourgeois vivant à Bordeaux, natif de la Rochelle, il s’est enquis du but de l’intérêt que je portais aux livres, en bref, si c’était pour meubler les rayons de ma bibliothèque. Bon, je n’étais pas de son milieu, ni de sa culture, il avait pris des repas avec Nicole Avril et son époux, mais enfin...elle a le droit d’avoir des lectrices de tous milieux, de tous niveaux intellectuels, elle est charentaise en partie, moi aussi, en partie, ma famille a acheté des biens à des Avril et j’aime ses livres, qui parlent d’amour, tout simplement. C’est juste un exemple de ségrégation, non pas par la couleur de la peau et le pays d’origine mais celle qui nous touche tous, qui que nous soyons : par la culture et le milieu social qui nous accepte dans son clan en nous reconnaissant comme son semblable.
Depuis les années 80, il y a des expressions qui m’amusent beaucoup : "mixité sociale", et "s’ouvrir au monde ou aux autres, c’est selon", il faut être dans la vraie vie pour voir la façon dont ces concepts sont appliqués.
Depuis 1990, j’achetais le Monde, j’avais un enfant qui voulait faire des études de lettres et je ne manquais jamais l’édition du vendredi avec ses pages littéraires dont je restituais ce qui m’avait paru intéressant à mon enfant, qui avait la particularité d’avoir un amour immodéré pour Michel de Montaigne.
Le 15 avril 2011, sur France Inter, j’écoutais parler Danièle Sallenave, collaboratrice du Monde, dont j’avais lu, des articles et les quelques livres que la bibliothèque de Blanquefort avait sur ses étagères. Danièles Sallenave expliquait l’importance de la syntaxe dans le langage et dans l’écriture. Il sembait que tout cela était accessible à toutes les âmes de bonne volonté. Or dans mon cas, la syntaxe, l’orthographe et plus tard la notion de concept ont créé des barrières infranchissables entre l’enfant et moi. Peut-être mon enfant a-t-il voulu ressembler à tous ces écrivains que j’admirais mais qui sont, il faut le dire, peut-être, à juste raison, élitistes, mais dans leur cas, non dénués de tous sentiments filiaux.
Cet éloignement affectif est peut-être, une mode chez de jeunes intellectuels qui ont besoin de prendre leurs distances avec la génération précédente et leurs racines pour exister.
D’autre part durant cette émission les propos tenus sur la laïcité par Danièle Sallenave présentaient un intérêt certain pour ceux de nos dirigeants qui réfléchissent sur ce sujet.
Extrait : de KORSAKOV Roman d’Eric Fottorino - Collection Blanche -
Un matin froid de novembre à Bordeaux, une femme, vieille déjà, marche. Au sortir des Chartrons, elle a traversé les Quinconces pour rattraper les allées de Tourny. Après elle a passé la Comédie et a coupé au plus court en évitant les camions de livraison qui encombrent la rue Sainte-Catherine. D’un pas rapide et vacillant, elle marche. C’est la fin de l’année 1969.
Souvent elle tient compagnie aux malades signalés par les soeurs de l’Assomption, dans les appartements sans lumière du quartier des Grands-Hommes ou chez les cancéreux de Terre-Nègre. Elle pourrait se diriger les yeux fermés. D’ailleurs ils sont à peine ouverts et bien malin qui pourrait dire leur couleur, si seulement ils en ont une.
Indifférente à Notre-Dame, où tant de fois elle a déchiré ses bas contre les prie-Dieu, elle a laissé sur sa droite le cours de l’Intendance et la volée de petites rues qui entourent la porte Dijeaux : la rue Vital-Carles, la rue du Temple, la rue de Grassi, il fait encore nuit, ce matin froid de novembre, à Bordeaux. Elle se dépêche. Elle a rendez-vous gare Saint-Jean et c’est loin.
Dans sa lettre, elle s’était proposé de l’attendre à la sortie de la maison d’arrêt. Gilbert n’a pas voulu. Il a préféré à la gare, comme un voyageur ordinaire, sauf les bagages qu’il n’a pas. Maintenant, elle longe le marché des Capucins où l’un de ses fils vend des fleurs coupées. A cette heure-ci, le banc est installé. Louis a l’obsession du détail. Il veut que son stand soit le plus beau de toute la halle aux fleurs, avec la marchandise qu’il va chercher lui-même en fourgon à Ollioules, sur la Côte d’Azur. Il rapporte des espèces rares, les assemble à son goût qui n’est guère en vogue chez les habitués des Capucins. Quelquefois, la vieille entend des moqueries sur le "pédé avec ses bouquets mauves". "Le pédé", c’est Louis, son fils.
Ce matin elle n’a pas le temps de s’arrêter. Le buste en avant, une main qui serre le col de son pardessus auquel il manque un bouton, elle marche. Ici, on aimerait savoir qui est cette femme usée, quelles furent ses défaites et ses chutes pour se retrouver trotte-menu dans Bordeaux glacé, se hâtant frêle au vent, le visage fermé, dents serrées, à la rencontre d’un jeune homme de vingt ans tout juste libéré de prison et qu’elle n’a jamais vu.
Tout a commencé avec le petit mot de la mère supérieure punaisé sur le panneau de liège, à la porterie de l’Assomption où elle ne travaille que le soir : "cherchons correspondants avec détenus de la centrale de Gradignan." Ce jour-là, elle a recopié l’adresse sur un coin de papier pelure - le reste de la feuille lui a servi pour la liste des commissions confiée au petit. Aussitôt elle s’est mise à écrire sur une imitation de vélin d’Angoulême. La semaine suivante, elle a reçu une réponse. Son correspondant s’appelait Gilbert. Il s’était enfui de chez lui après une bagare avec son père, puis il avait signé chez les parachutistes. Il s’était enfui de nouveau après une autre bagarre. La police l’avait trouvé étendu avec ses habits de soldat sur une plage du Bassin. Déserteur, il avait écopé d’un an ferme. Il lui restait trois mois à purger. Dehors il n’avait personne. Désormais, elle serait là.
Parfois elle regarde sa montre, une breloque à cadran de cuivre qui retarde tant et plus. Ce n’est guère qu’elle y tienne, mais elle n’en a pas d’autre et les réparations sont hors de prix. Sur ces anciens modèles, le moindre pépin dans le mécanisme oblige à tout changer. Heureusement elle vint d’apercevoir la face blanchie de la grosse horloge, gare Saint-Jean. Il sera bientôt sept heures. Elle est en avance. Le froid mord le bout de ses pieds, et ses mains qu’elle a glissées dans la doublure de son pardessus. Au fond de ses poches sautillent les pièces de monnaie qui paieront le café et le croissant pour Gilbert. Ils prendront le 7-8 qui les déposera devant les Quinconces. Ensuite ils couperont par les venelles pavées pour se rendre rue Cornac. C’est là qu’elle habite, près des Chartrons. Deux fenêtres sur cour avec un peit garçon que sa fille a eu avec un étranger, le petit de la liste des commissions.
Ici, on aimerait savoir pourquoi cet enfant est seul rue Cornac, deux fenêtres sans rideaux, pendant que sa mamie, moins vieille qu’il n’y paraît, passe ses nuits à la porterie de l’Assomption dans un réduit qui sent la compote et le moka, où chaque visiteur est un envoyé de Dieu, excepté le père du petit qui, de toute façon, ne reviendra plus. Mais poursuivons Gilbert attend.
Gilbert est de taille moyenne, les cheveux tirant sur le blond, étriqué dans son blouson de Skai trop court qui lui découvre les reins et empeste le tabac. Son visage est imberbe. Son sourire est celui d’un enfant qui n’aurait pas toutes ses dents. Une vague tristesse habille son regard, mais c’est peut-être le sommeil car il s’est levé tôt et ne pourrait dire s’il est triste. Elle l’a reconnu grâce aux descriptions qu’il a données de lui dans ses lettres. Il aurait pu envoyer une photo d’identité, mais les deux qu’il possède ont été tirées en prison et, en les voyant, il s’est trouvé l’air d’un malfrat.
Elle l’a reconnu aussi parce qu’il était seul sous l’horloge de la gare Saint-Jean, à guetter, les mains derrière le dos, ce qu’il n’ose appeler la liberté. Elle l’a entraîné au bar du Terminus. Cette fois, c’est lui la dévisage. Il ne sait rien d’elle, sauf qu’elle pourrait être sa mère. Il connaît son prémon, Simone, et son drôle de nom, Ardanuit, Simone Ardanuit. Il n’a jamais rencontré de Simone. Il se dit qu’elle ressemble à une religieuse avec sa mine austère et son regard pointu qu’aiguisent les verres de ses lunettes, son air de porter sa croix. Si elle sourit, une autre femme apparaît, presque tros gaie, secourée d’un petit rire qui chevrote.
Il a bu un Viandox brûlant, a refusé le croissant. Tout de suite il l’a tutoyée. Elle l’a imité. Dans l’autobus, ils se sont assis l’un près de l’autre. Le jour se levait. Il a observé la ville sans un mot. Aux Quinconces, il a voulu voir la Garonne. Ils ont descendu le cours de l’Intendance, le Chapeau-Rouge. Il a détourné son regard en surprenant son reflet dans la vitrine d’un joallier. La Garonne était là, brune comme un café au lait répandu entre les piles du Pont de pierre. Il a scruté les grilles des Chartrons, les hangars et les grumes. Les gros bateaux du port et leur grosse envie de partir. Puis il a dit : "Allons-y."
Ils marchent encore dans les ruelles aux murs de suie. Gilbert respire à pleins poumons. Il voudrait avoir deux bouches pour sentir l’air entrer davantage en lui, le même air qu’à Gradignan mais sans les barreaux. Elle lui parle du jour où elle l’a contacté, de ses lettres qu’elle s’était mise à attendre, de leur briéveté - ce n’est pas un reproche -, de ses enfants aujourd’hui tirés d’affaire, qui ont de belles situations - elle se confessera plus tard pour ses mensonges, pense-t-elle -, du petit garçon rue Cornac, un juif à moitié, mais elle répéte que "ça se tassera".
Il ne l’a pas écouté.
internet : www.galimard.2004
Extrait de : "L’HOMME QUI M’AIMAIT TOUT BAS" Eric Fottorino. Folio
Chapitre 21
Peut-être tout cela n’a-t-il de sans que pour moi et pour quelques personne que j’aime, qui l’aimaient. Cela suffit. J’ai choisi l’écriture, ce continent d’incontinence, pour retenir ce qui peut l’être avant que le temps n’engloutisse tout ce qu’il fut dans les brumes de la mémoire. C’est dit, c’est écrit, il était ainsi, de chair et de soleil, d’ombre et d’éclat, et tous ces souvenirs qui affleurent, ces détails sans importance, son accent, son allure son regard, cette bonhomie, sa dignité, tout cela reste vivace, le fil n’est pas coupé puisque je le retrouve intact par l’énergie des mots qui donnent naissance à des images à des sons propres à le ranimer. Un plat nouveau préparé par ma femme, et je l’entends qui insiste : "Goûte ! Mais tu n’as pas goûté ! Goûte je te dis !" Cela valais pour tout : la polenta, les pois chiches ou le smen du couscous (du beure rance en sauce), pour les beignets de courgette ou l’ail qu’il cuisait au four et dégustait fondant à la petite cuiller. (...)
J’aimerais lui dire que sa petite-fille Constance, du haut de ses dix ans, a grimpré le pont de l’île de Ré à vélo, vent debout, sans mettre pied à terre. Qu’elle prend les grosses vagues de la Pointe Espagnole. Lui dire que Zoé, quatre ans et demi, demande si on peut faire ce qu’on veut dans la vie. Demande si le ouh ! du loup est le même que le ouh ! du hibou, et j’imagine ce qu’il aurait pu inventer comme cris pour lui montrer la différence. Lui dire aussi qu’elle cache des caramels dans ses chaussures, qu’elle garde une photo de lui dans sa chambres, qu’il continue d’exister dans ses jeux d’enfant aux boucles insouciantes. En réalité je lui dis tout cela, le dialogue n’est pas interrompu, il s’est déplacé dans un ailleurs qui traverse les souvenirs et les rêves, qui dilate le temps à l’infini.
C’était hier : Il marche dans le jardin de Zoune un soir d’été, torse nu, tenant contre lui ma fille aînée Zouzou qui s’étouffe d’une crise d’asthme. Il la tient contre lui, lui parle doucement, à l’oreille, la calme : Respire, ma grande, respire ma poule, il dit. Et elle respire. Maintenant il prend Elsa par la main, sa cadette, elle est petite et très bavarde, elle lui raconte, mille choses et lui, avec son petit sourire, lui répond, la regarde, quelle pipelette celle-là, il l’aime en silence car il ne sait pas le dire.
Chapitre 22
Je me souviens que ce fut un bouleversement sans nom de prononcer ce nom - jamais dit auparavant, sinon pour désigner l’abscence. Une syllabe redoublée, frappée d’évidence pour tous ceux qui l’on répétée du plus loin de leur mémoire : papa. A presque dix ans, grand déjà, j’ai pu dire papa. Timidement d’abord, puis avec assurance puisqu’il était d’accord, que c’était entendu, et que tout le monde pouvait l’entendre. "Papa", pour un oui ou pour un non, pour le seul plaisir de m’entendre dire ce mot magique et tout neuf. Education, rééducation sentimentale. Je l’ai connu pendant trente-huit ans et durant ces années, lorsque je l’appelais au téléphone, c’était mon premier mot, inusabale, un mot de passe, au bord des lèvres, comme mon coeur à présent si je le rèpète en silence.
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Sud-Ouest dimanche 8 mai 2011 - Dominique Manenc -
APRES GUILLEBAUD, FOTTORINO
MALAGAR - FOTTORINO vient d’être élu président du centre François-Mauriac pour le mandat 2011-2015 (à suivre)
C’est fait. Le centre François-Mauriac de Malagar vient de se doter d’un nouveau président, Eric Fottorino, élu vendredi, lors d’une assemblée générale extraordinaire du conseil d’administration, pour succéder à Jean-Claude Guillebaud, en poste depuis 2006. "Je ne suis pas démissionnaire et j’avais l’intention de m’engager à nouveau mais mes nouvelles fonctions au "Nouvel Observateur", où je remplace Jacques Julliard, m’obligent à être très présent au journal. Il aurait été malhonnête d’être un président délibérément abstentéiste".
Disponibilité et notoriété
Jean-Claude Guillebaud est allé chercher Eric Fottorino qu’il connaît bien et possède de profil parfait pour faire le job. "Il est disponible, a un solide carnet d’adresse et une notoriété certaine". Ses responsabilités à la tête du "Monde" lui ont conféré les deux derniers atouts. Le fait d’avoir quitté le prestigieux quotidien, lui permet d’avoir du temps. Et surtout, et ce n’est pas la moindre de ses qualités, Eric Fottorino a des attaches du côté de la Rochelle, des Landes et aussi de Bordeaux où il a passé ses dix première années : " Je vendais des fleurs avec mon oncle au Capus pour me faire de l’argent de poche". L’écrivain a une passion pour Mauriac, dont, tout petit, il a dévoré les romans et le journaliste sait user d’une grande liberté de ton. Voilà tout le monde rassuré, à commencer par lui : "La rédaction me manque et j’ai hâte de travailler avec l’équipe de Malagar. Mais succéder à Jean-Claude, ce n’est pas rien !".
Rencontres de mai annulées
Après donation des héritiers, le domaine de Malagar est aujourd’hui propriété du Conseil régional qui y a installé le centre François-Mauriac : "C’est devenu un rendez-vous tranquille et apprécié où se rencontrent des intervenants prestigieux sur les thèmes renouvelés. Le centre vit à travers tout cela. Tel était le défi". Insiste Alain Rousset, le président de la Région.
Les rencontres de Malagar, prévues en mai, sont annulées en raison de ce changement de présidence. Mais le second temps fort, celui des Vendanges, se déroulera sur le thème du "secret".
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Octobre 2011 : Je ne sais pas trop pourquoi, c’est moi qui trie les nombreux papiers de ma tante France à Caychac, la famille Garat, sa voisine de la voie non classée y est très présente. Je retrouve le faire part de mariage de Françoise avec Ronan en 1972, une lettre de condoléances, envoyé par ses parents Agnès et d’André, un livre : voie non classée, et un article soigneusement découpé dans Sud Ouest, Carte blanche à Anne-Marie Garat :
LE RENDEZ-VOUS DE L’ESTUAIRE.
Il y a bien eu une permière fois, mais je ne me souviens pas. Je ne me suis souvenue que très tard qu’elles sont là depuis longtemps. Tous les ans, chaque année ce jour de fête, fin août. Il y a des guinguettes, quelques manèges et des marchands de glaces sous les platanes du petit port, une foule d’été mêlée aux passagers du bac qui repartent des plages. Nous venons à vélo, toute la bande, avec nos transistors attachés au porte-bagages, que nous faisons hurler pour nous rendre intéressants ; nous faisons les fous jusqu’au soir.
Elles arrivent à la fin de la fête, par le bac de 4 heures, elle s’assoient sur un banc sans rien faire, rien dire, elles repartent par le bac suivant. Elles ressemblent à n’importe qui, des soeurs ou des cousines, des amies. Elles ne sont pas d’ici, pas de cette rive. Elle viennent là depuis longtemps, depuis ma petite enfance, et peut-être dès avant, dès ce temps sans futur et sans avenir des limbes. Pendant tant d’années, je les ai connues sans les voir. Je les ai oubliées. J’ai souvent manqué la fête, mes vacances se passaient loin du petit port de la Gironde.
Une fois, je suis revenue, et elles étaient là. Les mêmes, avec leur air de tout le monde qui ne ressemble à personne, deux femmes anonymes assises sur le banc, un peu à l’écart. Elles ont vieilli, moi aussi, mais elles ont changé moins que moi, comme si elles étaient dans un autre temps que le mien, maigres et silencieuses, avec leur même chapeau de paille noir, tenant leur sac au creux du coude comme ne le fait plus. Cette année-là je les ai vues pour la première fois. Elles ne se touchent pas, ne se distraitent pas des mouvements de la fête, le regard vague, elles se taisent. D’elles il émane une tristesse gaie, cela existe-t-il ? Elles sont unies dans un assentiment profond pour le même silence, que partagent les gens qui n’ont plus besoin de paroles pour s’entendre, et je cherche ce qui les distingue l’une de l’autre, si ressemblantes et dissemblables, je crois qu’elles prient, ou alors elles ont une dévotion intimes à quelqu’un ou quelque chose qui ne concerne qu’elles, elles sont à l’image de la fidélité qui fait mal, et qui dure. J’ai demandé autour de moi si quelqu’un les connaissait, mais le temps d’expliquer, de les désigner, la foule est passée entre nous, les groupes ont tourné, ensuite le banc est vide, je les ai perdues, le bac repart déjà sur le fleuve, avec son sillage d’écume.
L’année suivante, je crois que j’ai fait exprès de revenir, j’ai retardé mon départ pour être là, au rendez-vous avec elles. Quand le bac est apparu au coin de l’île, mon coeur battait comme une première fois d’amour, j’étais seule. Elles sont arrivées, leur sac au coude, avec leur chapeau de paille noire, il me semble qu’elles m’ont frôlée et, dix fois, les observant de loin, j’ai eu la tentation d’aller m’asseoir près d’elles, d’engager une conversation, de leur poser la question. Je ne sais laquelle. Une question d’identité, de lien ou de secret, de leur demander qu’elles me racontennt une histoire de tristesse gaie, cela existe-t-il ? Je n’approche pas, j’ai peur qu’elles disparaissent.
Je reviens tous les ans. Tous les ans, elles sont là. Si je questionne à leur sujet, on ne sait de qui je parle. On me dit en riant que ce sont des fantômes. Une fois elles ne reviendront pas. Moi si. Ou bien, non. Une année, c’est moi qui ne serai plus là. Et elles encore. Elles ne vieillissent pas. Ou si peu c’est étrange, le temps en est ralenti à très grande vitesse, il raccorde ce jour d’août aux anciens et, entre-temps, je vieillis, la terre tourne, et l’angle du soleil, les saisons de la vie, mon enfance perdue chaque année s’amenuise, le temps des copains à vélo, des fous rires et le cri des mouettes, l’odeur des vases, les hivers ocres et bleus, les jeunes étés, les îles de l’estuaire, l’amour de loin en allé. Voilà qu’elles reviennent, pour la première fois.
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A Blanquefort, je croise Christian Coulon, il est arrivé que j’assiste à une conférence au cours de laquelle, il a parlé de Lamarque avec amour, fougue et délice. Thierry Marx aussi a marqué son passage à Blanquefort en nous faisant connaître les différentes sortes de pains et en initiant la ville à la cuisine nomade. Il avait un restaurant à Pauillac, peut-être l’a-t-il toujours ? C’est aussi un écrivain.
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Ma tante aimaient les gens qui avaient "réussi" dans la vie, et leur vouait une admiration sans limite. Je pense qu’elle n’a jamais accepté d’avoir entendu parler de la richesse de son père, qui à 21 ans avait hérité de son grand-père, propriétaire du Grand Clapeau. Et, pour sa part d’avoir eu au même âge une vie très modeste, avec un père, ouvrier à 51 ans. C’est ainsi qu’elle avait gardé des amies de jeunesse très belles qui avaient de l’ambition, et parmi elle, Alejandrina C., qui a épousé un monsieur qui avait le même patronyme qu’un membre de notre famille. Cette personne sera son amie durant toute sa vie, dans un petit porte-carte de ma tante, j’ai son faire part de décès. Elle me parlait d’elle avec fierté, et respect, je n’y prêtais pas attention, jusqu’au jour où... elle m’a dit que son amie recevait Jacques Séguéla à Bordeaux. Je venais de lire son premier livre et, pour le coup, j’ai écouté attentivement ce qu’elle me disait. Ainsi soit-il, ma tante avait réussi a atteindre les plus hautes sphères, par procuration, grâce à Alejandrina dont la descendance brille toujours dans les sommets de la société. Deplus, si comme le dit la rumeur, c'est Jacques Séguéla qui a présenté Carla à Nicolas, alors, carton plein, Taty F.
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Date de dernière mise à jour : 02/07/2021