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LES ALLEMANDS OCCUPENT BORDEAUX

Les journaux de Bordeaux du 27 juin publièrent un appel de M. Adrien Marquet, maire de Bordeaux, ministre d'Etat :

"Mes chers concitoyens,

"Depuis nos revers, vous vous êtes montrés dignes des traditions de la Cité,

"Vous avez été accueillants pour les réfugiés, courageux sous le bombardement et confiants à l'égard du Maréchal Pétaine.

"Notre ville est comprise dans la zone occupée.

"Votre Conseil Municipal fera son devoir,

"Je vous demande de conserver votre calme.

"Demain, comme aujourd'hui, vos consignes seront :

"Discipline, ordre, dignité.

             A. Marquet,

            Député-maire.

L'appel du général Lafont est encore plus bref :

"Français, Française,

"Ayez le sentiment de votre dignité.

"N'assistez pas en curieux au défilé des troupes sur votre sol.

"Abstenez-vous de manifester. Soyez corrects. Fermez vos fenêtres.

"La France est en deuil.

          Le général Lafont,

         Commandant la 18e Région.

A 10 heures 45, le général Lafont reçut à son Q. G. l'oberst Kretschner accompagné du lieutenant von Engelreichter, qui lui sert d'interprète.

L'oberst, qui n'est pas très à son aise, parce qu'il cherche à concilier courtoisie et autorité, vient s'assurer de l'exécution des conditions d'armistice.

Le général Lafont charge son chef d'Etat-Majoqr de répondre à ses questions au sujet de l'armée de terre. Tout se passe bien, sans qu'il soit besoin d'entrer dans de grandes précisions.

En ce qui concerne la Marine, c'est le vice-amiral Barnouin commandant le port de Bordeaux et représentant l'Amirauté qui, rapidement convoqué, prend la parole. Voici le curieux dialogue qui s'établit :

"Monsieur, l'amiral où avez-vous fait déposer et entreposer les armes ?

- J'ai mis les canons hors d'état de tirer et fait jeter dans la rivière les armes portatives.

- Mais alors comment ferai-je vérifier ?

Geste évasif de l'armiral :

- Sous l'eau ! Avec des scaphandriers..."

L'oberst reste figé de surprise... Il lui faut quelques minutes pour comprendre et pour admettre... Puis sa figure se détend... Un sourire glisse sur ses lèvres minces. Il devient presque cordial.

Le général de Castel, commandant l'aviation, est moins catégorique. Il s'en tient à des déclarations très vagues...

En réalité, les commandants des camps et des bases ont fait et font pour le mieux, sous leur propre responsabilité.

Cette responsabilité est lourde car, en plus du matériel et des effectifs qui relèvent normalement  de leur autorité, ils ont dû accueillir, au cours des dernières semaines, les avions et les formations aériennes repliés des champs de bataille du nord-est.

A Cazaux, c'est le lieutenant-colonel de réserve Louis Valeton qui, tandis que son chef, commandant de la base limoges, avec tout le personnel et tout le matériel roulant, a mission de remettre la base aux Allemands "dans le cadre des conditions d'armistice." Ces conditions, il ne les connaît que par les extraits qu'en a donnés la presse. Il lui appartient de les appliquer, à ses risques et périls, dans le sens le plus favorable à la France.

Il commence par laisser s'envoler une centaine d'avions avec leurs équipages. Il ne conserve que des appareils d'école, usagés, démodés et inaptes à tout service de guerre, et quelques avions plus modernes, mais incapables de prendre l'air.

Il fait jeter dans le lac de Cazaux une grande quantité d'armes et de munitions, et ne garde que des armes d'exercice, dépourvues de toute valeur militaire. Il détruit toutes les archives, sans en dresser inventaire. Enfin, il accorde les coudées franches à la population civile pour s'approvisionner aux réserves d'essence et piller discrètement, mais à peu près complètement, les magasins du camp (pendant longtemps, la soie des parachutes fournira de combinaisons soyeuses toutes les femmes des environs et de chemises de luxe leurs maris).

Par suite, le lieutenant-colonel Valeton recevra du général d'armée aérienne Massenet de Marancourt des félicitations pour la façon dont il a compris et accompli sa tâche.

A Mérignac, où le ministère de l'Air et le général Picard, commandant l'aviation, ont trouvé refuge entre le 14 et le 27 juin, c'est le lieutenant-colonel de réserve Daniel Chambarière qui est responsable de la base.

Les 17,19,23 et 24 juin, il a facilité le départ pour l'Afrique du Nord ou pour la zone Sud de divers groupes appartenant à l'Ecole d'aviation ou repliés récemment sur le camp. Il a évacué et continue à évacuer à la hâte sur La Réole des armes, du matériel et même de l'essence. Il a mis drapeaux et fainions en sûreté. Il a fait filer hors d'atteinte de l'ennemi les élèves pilotes qui dépendent de lui.

C'est à Mérignac que se trouve le colonel de réserve Robert Franc, un  as de la guerre 1914-1918, mais il n'y est que depuis 12 jours.

Précemment, il était adjoint au général Brocard, à Etampes, pour la direction des écoles de pilotage de la moitié de la France et plus spécialement pour la sélection et la formation des chasseurs. Le 15 mai 1940, le général Brocard ayant été chargé par le chef d'Etat-Major de l'Armée aérienne de la défense aérienne de la métropole, le colonel Franc a continué à l'assister. Il a organisé des patrouilles de chasse pour protéger les villes et les centres militaires. Le 15 juin, à la suite de la retraite, il est arrivé à Mérignac avec 40 avions de chasse qui constituaient la dernière garde aérienne du gouvernement.

Le 25 juin, l'armistice signé, le colonel Franc connaît l'ordre de ne plus laisser décoller aucun appareil... Allons donc ! ses 40 avions sont en état d'allerte ! Il s'empresse de faire une signe : "En route !". 12 appareils sont retenus au sol, mais les 28 autres gagnent Toulouse d'un coup d'aile. Le colonel Franc, devra répondre de cette audacieuse initiative devant ses chefs. Il recevra leurs compliments.

Dans l'après-midi du 27 juin, en avance sur l'horaire prévu, un convoi allemand traverse Bordeaux sans s'y arrêter, en direction de Hendaye. Il marche à vive allure et est précédé de motocyclistes, à qui leurs grosses lunettes font un masque étrange de martiens. De la coupole des chars d'assaut émerge la tête d'un homme coiffé d'acier. Des canons, dont les roues ébranlent le pavé, sont remorqués par des tracteurs et suivis de leurs caissons sur lesquels les servants sont assis, le mousqueton sur la cuisse. Enfin des camions forment la queue de la colonne, de lourds et magnifiques camions gris-vert, chargés de soldats réséda.

Tout cela donne une impression de puissance et d'ordre redoutables... Tout cela explique nos malheurs et augmente notre humiliation.

Malgré l'avis du général Lafont, il y a trop de curieux sur le passage du convoi.

En fin d'après-midi, M. Baudouin envoie à M. Roger Cambon, qui est encore notre chargé d'affaires à Londres, un long télégramme destiné à être communiqué à lord Halilfax, pour rappeler à celui-ci les entretiens du 13 juin à Tours, pour définir l'esprit dans lequel l'armistice a été signé et pour affirmer, une fois de plus, que "notre intention et notre voeu restent de maintenir avec le gouvernement anglais l'amitié qui, dans l'intérêt des deux pays, doit survivre à la coopération militaire".

Rien n'aura été négligé pour éviter la rupture.

Le lendemain, M. Laval, qui témoigne de beaucoup d'activité, se fait ouvertement le promoteur d'une révision constitutionnelle. Cette idée soulève des objections, même au sein du cabinet, mais tout le monde est d'accord sur la nécessité de donner au maréchal Pétain des pouvoirs exceptionnels...

Quand au maréchal, il trouve le ministère troup lourd, trop nombreux. Il a été habitué à travailler au sein d'un état-major. Il voudrait autour de lui une équipe plus restreinte et plus homogène.

MM. Laval, Bouthillier, Baudouin et Alibert élaborent un projet comportant 11 ministres, sans aucun sous-secrétaire d'état. Sur ces 11 ministres, 6 seraient pris dans le parlement et 5 au dehors...

M. Laval a recommandé au Maréchal de confier le ministère de l'Intérieur à M. Marquet et de transférer M. Pomaret au ministère deu Travail... Le chef du gouvernement souscrit à cette proposition.

A 11 heures du matin M. Pomaret passe à M. Marquet les services installés à la Préfecture de la Gironde. A cette occasion, M. Marquet fait à la presse la déclaration suivante.

"Ce n'est pas la France qui a été vaincue. C'est un régime de la facilité, d'opportunisme et de faiblesse qui s'est effondré. Je suis de ceux qui avaient prévu depuis plusieurs années cette catastrophe. Or, il y a des valeurs françaises et un ordre français. Il faut les définir non dans les mots, mais dans les faits, et les faire régner dans les esprits et dans les choses. Tel sera le sens de l'effort que j'entreprends avec la confiance du Maréchal Pétain."

Le général commandant la 18e Région a été avisé, dans la matinée, que tout militaire qui, le 1 er juillet à 0 heure, se trouvera à l'ouest de la ligne de démarquation sera considéré comme prisonnier.

Il reste plus de 60 000 hommes à faire passer en zone libre. L'Etat-Major sy emploie avec un redoublement de zèle. Le général Lafont reçoit une aide extrêment précieuse du commandant Arrigos, appartenant au 4e Bureau de la région, qui a recours aux expédients les plus variés.

Les Sénégalais cantonnés à Souges partent par la route, en bon ordre.

Les officiers qui en font la demande sont renvoyés dans leurs foyers.

Les sous-officiers et soldats de Bordeaux et de la région sont munis à la hâte d'un certificat de démobilisation individuelle.

Des navettes de trains sont organisées entre Bordeaux et Langon.

Dans le Sud de la Gironde, dans les Landes et dans les Basses-Pyrénées, des convois d'autocars, d'autobus et de simples camions sont improvisés et cirulent sans arrêt.

En fait, les 60 000 hommes seront évacués à temps. Il faut rendre hommage au général Lafont, à tous les officiers de son Etat-Major et tout spécialement au commandant Arrigos qui ont entrepris et réussi une tâche presque surhumaine.

A la veille de l'occupation de Bordeaux, l'intérêt national exige que tous les militaires combattants, pour échapper à la capture, soient démobilisés ou s'éloignent au plus vite... Il n'en est pas de même bien entendu, du service de Santé. Malheureusement, une partie de ce personnel, par suite d'une interprétation erronée et inacceptable des instructions du général Lafont, est évacuée avec une telle précipitation que certain hôpitaux se trouvent démunis de médecins et d'infirmiers... Le général Lafont, quand il constatera, le lendemain, qu'un hôpital auxiliaire de 600 lits ne dispose plus que d'un dentiste, entrera dans une colère homérique.

Lorsque l'officier envoyé par le Grand Quartier Général Allemand se présente au Q. G. du Commandant de la 18e Région le 29 juin, le général lui montre l'ordre que lui a donné le général Weygand de demeurer à Bordeaux pour recevoir les autorités occupantes. L'officier allemand laisse percer quelque embarras. Les chefs de la Wehrmacht entendent entrer à Bordeaux en vainqueurs, comme chez eux, et non en visiteurs, dont on tolère provisoirement la présence. Le général Lafont n'est pas d'accord sur cette distinction et sur le protocole qui en découle. Il suggère d'en référer au général von Kleist, ce qui est accepté.

Le lendemain, le général von Kleist en s'intallant rue Vital-Carles, se montrera courtois. Quand il saluera le général Lafont, qui ne lui cache pas combien sa position est douloureuse, il marquera quelque émotion.

 

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Date de dernière mise à jour : 02/07/2021